Il y a 20 ans, fraîchement diplômé d’école d’ingénieur, je débarquais dans un bureau à l’Université de Genève pour débuter mon service civil. Dans l’équipe de recherche en technologies éducatives, je m’adresse à un étudiant-assistant pour ouvrir mon compte email. En le voyant bredouiller des commandes UNIX, je ne me doutais pas à ce moment-là, que cette rencontre allait fondamentalement influencer la personne que je suis aujourd’hui.
Il y a quelques jours mon ami, collègue et complice, Nicolas Nova, s’en est allé brusquement alors qu’il pratiquait ce qu’il aimait le plus: rencontrer, explorer, observer, documenter.
Sur la page mise en place à sa mémoire https://nicolasnova.org les messages laissés par beaucoup reflètent le riche réseau que Nicolas a tissé au fil du temps. Ces centaines d’hommages venus des quatre coins du monde trahissent l’évidence d’un impact qu’il préférait dissimuler sous le voile de son humilité.
Il y a beaucoup de points d’entrée au monde de Nicolas. Par exemple, certains connaissent Nicolas à travers son talent d’éditorialiste de la conférence Lift, qu’il avait co-créée à Genève avec Laurent Haug, un autre fidèle complice. D’autres se rappellent de CatchBob!, un des premiers jeux géolocalisés que nous avions développé dans le cadre de son doctorat en informatique à l’EPFL. D’autres étaient des lecteurs de son blog Pasta & Vinegar. Et encore d’autres ont été à jamais inspirés par ses observations de nouveaux gestes du numérique dans Curious Rituals, qui sera à l’origine de son doctorat en sociologie à l’Université de Genève.( Nous aimions l’appeler Docteur Docteur Nova pour chatouiller son humilité).
Au fil du temps, Nicolas avait réussi à consacrer plus de temps à sa passion pour l’écriture. Auteur prolifique, (Comment fait-il ? me demandait-on souvent) ses livres explorent des thèmes originaux liés à la culture numérique et à l’artificialisation de notre environnement. De 8-bit reggae au Bestiaire de l’anthropocène en passant par Fragments d’une montagne, il documentait ses observations de l’être humain et des technologies pour faire apparaître les nuances à contre-courant des récits simplificateurs dominants.
Nicolas était curieux de profession. Tous ses travaux sont une invitation à devenir explorateur. Pour s’émanciper d’un monde académique parfois trop enfermé sur ses méthodes, il aimait cultiver son propre savoir-faire. Guidé par sa générosité intellectuelle, il avait plaisir à documenter en ligne et partager lors d’interventions publiques sa manière de penser, nos expérimentations en Design Fiction ainsi que ses stratégies pour être attentifs aux détails du quotidien qui change sous nos yeux.
Nicolas était un humaniste qui aimait le futur. Professeur dans des écoles de design et particulièrement à la HEAD de Genève, il était accessible, généreux et bienveillant particulièrement envers ses étudiants. Il consacrait beaucoup d’énergie et de temps à leur ouvrir le champ des possibles, leur donnant les outils et souvent la confiance pour trouver leurs propres chemins. Et c’est sur ce point que j’aimerais conclure mon hommage.
A travers une conversation, une présentation, un livre, un article, Nicolas a touché un grand nombre de personnes de manière fondamentale. Il nous lègue une large archive de ses recherches. De la même manière que les circonstances et les rencontres ont permis à Nicolas de tisser son monde qui nous a enrichis, c’est à nous de garantir la persistance de ce terreau fertile pour les explorateurs “à la Nicolas Nova” en devenir. C’est une tâche à laquelle je vais m’atteler en mémoire de mon ami Docteur Docteur Nova.
Cher Nicolas, à 11 heures ce matin, c’était l’heure de notre conversation hebdomadaire. Pour la première fois, tu es en retard. Une partie de mon cœur est infiniment reconnaissante de ces plus de 20 ans de complicité. Et l’autre partie sera éternellement triste de ne pas pouvoir continuer le chemin ensemble. RIP mon ami et merci, merci, merci. 🖤🖤🖤
